Âmes sensibles s'abstenir...


     Une dame et ses deux petites filles attirent mon attention. Elles voyagent dans un étrange moyen de transport. C'est un vélo bricolé maison où peut se loger une petite cabine à l'avant. Les "lardons", mon grand-père nommait ainsi les enfants, y sont certainement mieux protégés sous le regard de leur mère. Dans cette rue du centre-ville, le flot des passants est presque continu. Pendant quelques instants, un homme avec un petit chien attendent. Tous deux ont le front assez rond et dégarni, ils se dégagent d'eux une certaine tristesse renforcée par une posture voutée dû au poids des années. Ne ressort, que le pansement orange fluo de la pâte avant gauche du frêle canidé. Le voilà qui trottine gaiement autour de son maître en voyant revenir sa maîtresse, une femme contrastant singulièrement avec son époux, par les vives couleurs bien assorties de ses vêtements. Les passants se pressent dans les magasins. Il fait froid en cette fin de journée. 

     Une dame et ses petites filles attirent mon attention. Elles attendent une personne ou peut-être plusieurs. Les jeunes enfants jouent sur le banc de béton, elles grimpent, simulent une action de jeu, puis sautent alternativement dans les bras de leur maman. Cette dernière paraît réellement sympathique, épanouie et attentive au bien être de ses enfants. Aux aguets, elle s'inquiète de l'heure régulièrement en plongeant deux doigts dans une de ses poches de pantalon vermillon. Six heures moins vingt, six heures moins le quart...

     Une mère et ses filles attendent et jouent pour se réchauffer face au vent saisissant. Déjà l'obscurité s'installe. Laissant mes yeux dans la vague quelques instants, ils cheminent des portes-vélos au bus qui ralenti pour accueillir ses futurs passagers. En hochant légèrement la tête vers la droite, mes yeux se fixèrent alors en direction d'un spectacle épouvantable. En cruauté impitoyable, l'homme ne cède à aucun tigre, à aucune hyène *. Mais ce n'est ni tigre ni hyène, mais... Un ours en peluche teinté de gris avait été successivement séparé des mains protectrices d'un bambin, avait séjourné un temps inconnu sur le bitume froid du trottoir mais avait été ramassé par d'autres mains plus fermes et ridées pour achever sa migration, étiré, contorsionné, bourré entre bois et fer d'une ganivelle et pour unique réconfort l'écorce d'un arbre aux milles écus (Ginkgo biloba).

     Une maman et ses enfants avaient été rejoint par l'être tant attendu, 
     et ils avaient disparu... .

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* A. Schopenhauer.

E.M

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