Les déchets toxiques suisses en Bretagne...

Article publié le 31 Octobre par la rédaction de Breizhlog

      " Labbé, un enseignant à la retraite qui partage sa vie entre l'Allemagne et la Bretagne nous propose une histoire singulière : celle de la gestion des déchets de pesticides par la Suisse.
Passerelle des 3 Pays, Photo Taxiarchos, 2011. Avec l'aimable autorisation de l'agence Dietmar Feichtinger.
       Huningue est une petite ville située à la pointe sud de l’Alsace, tout contre Bâle, contre la Suisse. Une assez jolie petite cité, ancienne citadelle de Vauban, ancienne ville de garnison, avec une place monumentale et d’anciennes casernes parfaitement rénovées. On a même creusé un parking souterrain de 3 ou 400 places (la ville compte moins de 6.500 habitants). C’est dire si on voit grand et si l’argent ne manque pas ! Une passerelle originale dans son design traverse le Rhin et la relie à Weil-am-Rhein en Allemagne. Le chômage est moins élevé qu’ailleurs, les frontaliers disposent de salaires très corrects (le franc suisse a pas mal « augmenté »). La chimie bâloise a depuis longtemps débordé la frontière et de nombreuses usines se sont élevées dans la zone industrielle de Huningue, ce qui donne du travail aux habitants de la région et permet aux géants pharmaceutiques de faire des bénéfices encore plus importants en employant au tarif français.
Somme toute, tout va bien dans la région.

Sauf que…

       Pendant des décades, la chimie bâloise ne s’est pas trop préoccupée de l’évacuation de ses déchets : on a construit des silos ou enfouis ces déchets au plus près de la frontière, au plus près du Rhin, parfois, avec la complaisance des autorités françaises, en France. Mais voilà, en Suisse aussi, les choses évoluent et les firmes bâloises sont contraintes depuis quelques années à assainir ces dépôts, en Suisse mais aussi dans la France voisine. Ainsi, Novartis a commencé à évacuer, par firmes allemandes spécialisées interposées, pour les détruire, les masses de déchets issus de la production désormais interdite (en Europe !) du lindane, un insecticide particulièrement nocif (hexachlorocyclohexane - HCH) enfouies sur son site de Huningue. Et il y en a, des déchets : au bas mot il faut évacuer 230 000 m3 de sol contaminé (coût prévu dans les conditions actuelles : 86 millions d’euros !). Or la poussière produite est transportée par les vents vers la ville de Huningue particulièrement, entraînant des odeurs persistantes et désagréables depuis début août. Mais bon ! Des odeurs, on n’y prête pas trop attention dans le coin : la chimie, « ça pue », chacun le sait. Il n’y a pas encore trop longtemps les puanteurs étaient quotidiennes. Une habitude à prendre, en quelque sorte. A Huningue, on ne s’est donc pas officiellement plaint, d’autant plus que Novartis a fait savoir qu’elle n’évacue pas ses propres déchets mais ceux des usines ayant occupé le site avant elle : Sandoz, Ciba et Ugine Kuhlmann, une entreprise française dans les années 1970 spécialisée dans la fabrication de lindane. On a été content d’apprendre que ces cadeaux du passé allaient disparaître, bien reconnaissant envers ces bons messieurs de Bâle, mais pour les odeurs, on n’a pas vraiment osé dire quoi que ce soit. Et puis, on ne va pas cracher dans la soupe : sans la chimie de Bâle, pas de travail, pas de travaux pharaoniques dans la ville, plus de maisons pimpantes, de centre culturel surdimensionné, de centre aquatique…

       Lorsque des analyses ont prouvé que dans la ville de Bâle même on décelait des traces de HCH, Novartis a interrompu les travaux. La santé des citoyens helvétique est un impératif catégorique ! En France, on peut se permettre davantage, les gens haussent les épaules, se plaignent un peu et puis acceptent tout. On le sait. Le citoyen suisse est différent. Là, pas question de lui concocter davantage de cancers ou de maladies respiratoires avec cette nouvelle entreprise de salubrité publique. On arrête tout et on va chercher à améliorer l’extraction et le transport des déchets. A Huningue, on est modestement content. Ces messieurs de Bâle, tout de même, ne sont-ils pas prévenants ? Voilà…
Chantier de décontamination de la station de traitement des eaux usées de Huningue, qui avait été construite sur un dépôt de déchets de lindane. Photo Jean-Christophe Meyer.
      Maintenant où doivent aller ces tonnes de matière dangereuse ? La réponse est : près de Nantes (peut-être près du nouvel aéroport) ! On dirait un coup de pied en vache de Jean-Marc ! Et puis, ce n’est pas tout, on stockera en plein air ! Aucune mesure particulière n’est prévue. On va créer un terril de lindane en pleine Bretagne. Le Breton est solide et le vent du large dispersera sans doute les poussières nocives ! Voilà le cadeau de la chimie à la Bretagne ! On nous dira bien entendu que cela donnera du travail aux Bretons et il est évident que les autorités françaises, tant au niveau national qu’au niveau local ont donné leur aval à l’opération.

       Une chose est certaine : selon les spécialistes de l’environnement, ces milliers de m3 sont plus dangereux encore que le lindane pulvérisé jadis sur les champs !
Qu’en dit-on du côté de Nantes ? "


Interdit en 1998, le lindane pollue encore les sols, Le Figaro, 15 janvier 2013.

H.M

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