La Bretagne et ses pêcheurs : une mutation à marche forcée (extraits).

Delbos (G.), Prémel (G.), La Bretagne et ses pêcheurs : une mutation à marche forcée. In : Sociétés contemporaines n°22-23, pp. 145-167, 1995.


Extraits :
Thonniers dans le port d'Audierne (29) en 1972.
      En 1804, un des premiers préfets nommés en Bretagne après la proclamation de la République fait état de « la grave crise qui frappe irrémédiablement la pêche bretonne, si florissante avant la Révolution, avec ses 2.000 bateaux » (Le Bihan, 1958). 200 ans plus tard, le même constat est formulé en des termes identiques, y compris le décompte des navires, il suffit de remplacer dans le texte "Révolution" par "Grand Marché Européen" ou "GATT". Ce rapprochement souligne 2 choses : la pérennité d’un milieu social lié à la pêche, et de l’ordre de grandeur de ses moyens de production ; la relativité de la notion de crise. Au cours des 2 siècles écoulés, combien de « crises irrémédiables » ont-elles été surmontées ?

      L’exploitation des richesses maritimes en Bretagne est le fait de sociétés complexes, aux dynamismes multiples, mais réels, jouant sur plusieurs échelles de temps et d’espaces, grâce à quoi elles ont pu pendant longtemps composer avec les circonstances.

      Cette réalité humaine constitutive des activités de pêche est ignorée des institutions vouées à les encadrer aujourd’hui ; celles-ci, dans l’élaboration de leurs instruments de régulation, s’en tiennent aux seuls « critères bio-économiques ». Pour elles, et pour les agents qui les incarnent, la représentation dominante qui borne l’horizon d’élucidation des problèmes s’énonce en ces termes : la pêche est d’abord « une  affaire  d’extraction  de  matière  première »  dans  un  contexte d’internationalisation des échanges. L’exploitation de la richesse maritime piscicole ne peut donc se définir qu’à partir d’un double impératif de rationalisation, celui requis par la « gestion de la ressource », et celui imposé par les règles incontournables du « marché ».

      Les deux explosions de colère des pêcheurs en 1993 et 1994 ont été les expressions les plus visibles du séisme en profondeur engendré par l’intégration accélérée dans le grand échange mondial du secteur de la pêche artisanale, conjointement avec celle de la marine marchande, de la construction navale, de la pêche industrielle, des cultures marines, etc.


Malheureusement, je n'ai pas trouvé une carte pour la Bretagne unifiée à 5 départements.
       Nos producteurs maritimes seraient-ils "victimes du marché", comme d’autres le sont de "catastrophes naturelles", inondations, tremblements de terre... ? Et nos sociétés littorales, "dépendantes de la pêche", deviendraient-elles, elles aussi, "populations à assister" par des "aides d’urgence", puis avec un train de "mesures d’accompagnement social" destiné à faciliter une inexorable mue ? Pour peu que l’on ressaisisse les réalités contemporaines dans leur perspective humaine, tout autre est le regard porté sur ces sociétés et la mutation qu’elles affrontent.


      Nous invitons à une telle exploration des milieux de la pêche bretonne, en essayant de tenir à distance le climat de tension et de passion qui les caractérise depuis plusieurs années, mais en n’ignorant pas non plus que le regard anthropologique comporte forcément une interrogation politique sur le fonctionnement de la Cité, domaine de l’homme avant d’être celui des « choses » ou des « produits », et champ de luttes pour l’institution d’un « ordre des choses ».




L'article se décline autour de 6 points :

     1.  UNE RÉGION DÉPENDANTE DE LA PÊCHE : APPROCHE QUANTITATIVE.

     2.  UNE RÉGION AUX IDENTITÉS PLURIELLES : APPROCHE QUALITATIVE.

     3.  « DE LA MER NOUS VIVONS... » : UNE HISTOIRE EXEMPLAIRE.

     4.  LES QUALITÉS DE L’ENJEU.

     5.  INCURSIONS DANS UN NO MAN’S LAND, OU LE NON-DIT DE L’ENJEU.

     6.  BLESSURE SYMBOLIQUE.

Pour retrouver l'article complet, c'est ici.

L'article demanderait cependant une actualisation car il date de 1995. Quelle est la situation de la pèche bretonne, 20 ans plus tard ? En 2015, les pronostics et les tendances tels qu'évoqués dans l'article se confirment ?



***
      In the 1993 and 1994 demonstrations, the fishermen’s outburst of rage have been the most visible consequence of the deep restructuring imposed to seaside communities on Brittany. The small scale fishing activity has been exposed to a world market at a quick race. Are fishermen and their families just "victims of the market", targets for welfare policies helping the restructuring of an economic sector now dominated by a logic of world wide circulation of products? An anthropological analysis reveals more complex social practices, institutional responsibilities and demands which convey meanings beyond purely defensive states.


Pour aller plus loin :
BOULARD (J.C), L’épopée de la sardine, un siècle d’histoires de pêches. Rennes-Paris-Brest, IFREMER, 1991.
DIDOU (H.), Réflexions sur l’avenir des pêches bretonnes. Conseil Économique et Social Région Bretagne, avril 1994.
LE MARIN, Pêche, Etat d’urgence, Rennes, Ouest-France, Hors-série, n° 2430, 4 fév. 1994.
PROUTIERE-MOUILLON (G.), La  CEE et le marché des produits de la mer : mécanismes juridiques. Paris/Brest : rapport pour le  FIOM et le  FROM-Bretagne, octobre 1993.
ici, Une évaluation des performances économiques de la pêche côtière : le cas de la Bretagne, in Revue d’Économie Régionale & Urbaine 5/ 2008 (décembre), p. 753-771.

H.M

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