1875 : disparition du poète Tristan Corbière



Déclin
 
Comme il était bien, Lui, ce Jeune plein de sève !
Apre à la vie O Gué !... et si doux en son rêve.
Comme il portait sa tête ou la couchait gaîment !
Hume-vent à l'amour !... qu'il passait tristement. 

Oh comme il était Rien ! ... - Aujourd'hui, sans rancune
Il a vu lui sourire, au retour, la Fortune,
Lui ne sourira plus que d'autrefois ; il sait
Combien tout cela coûte et comment ça se fait. 

Son coeur a pris du ventre et dit bonjour en prose.
Il est coté fort cher... ce Dieu c'est quelque chose ;
Il ne va plus les mains dans les poches tout nu... 

Dans sa gloire qu'il porte en paletot funèbre,
Vous le reconnaîtrez fini, banal, célèbre...
Vous le reconnaîtrez, alors, cet inconnu.

Tristan Corbière


Le premier mars 1875, le petit poète fantasque de Morlaix, un des Poètes maudits de Paul Verlaine, s'éteint à seulement 29 ans.





      Tristan (ou pour l'état civil Édouard Joachim) naît le 18 juillet 1845, dans le manoir familial de Coat-Congar près de Morlaix. Il est le fils de l'ancien écumeur des mers et inventeur du roman maritime devenu homme d'affaires Édouard Corbière.

       À la rentrée de Pâques 1859 Tristan est interne au Lycée Impérial de Saint-Brieuc. Les longues lettres qu'il adresse à sa famille plusieurs fois par semaine montrent que la rupture avec les siens et avec sa demeure familiale n'a pas été sans déchirement. Elles révèlent aussi le brio avec lequel il narre aux siens ses démêlés avec un pion, ainsi que le trait d'esprit original et mûr d'un jeune garçon déjà doué pour l'écriture. 

À eux le latin de cuisine
Qu'ils courent après pauvres fous
À eux la version latine
Mais la narration est à nous.



      Dès ses 15 ans, apparaissent chez Tristan les symptômes de l'affection qui devait le faire souffrir jusqu'à son décès : engelures récurrentes aux mains, rhumatisme articulaire et tuberculeux de Poncet. Ses parents le placent alors chez son oncle, le Dr Chenantais, à Nantes où il poursuit ses études (au lycée Clemenceau d'aujourd'hui). Le passage de Tristan chez « les Nantais » impressionnera un des fils de la maison, Jules, le futur Pol Kalig qui contribuera à la postérité littéraire de son cousin. Toutefois Tristan doit interrompre ses études après la classe de seconde ; son mal s'est aggravé : il souffre déjà de tassements vertébraux et de déformations articulaires. Le jeune homme enchaîne les séjours dans la chaleur du sud-est de la France et dans le " bon air " des Pyrénées.




      A l'été 1863, sur les conseils de son oncle, Tristan s'installe dans la maison de vacances de ses parents à Roscoff. Surnommée « la petite Nice du Nord », la station est recommandée pour les traitements des affections osseuses et la tuberculose. Commence alors une vie marquée par la bohème, les facéties et de longues périodes de solitude. Conscient de la gravité de son mal, s'étant découvert laid au sortir de l'adolescence (« Bonsoir - ce crapaud-là c'est moi ») et bien décidé à s'offrir du bon temps, Tristan revêt la panoplie du parfait marin, fréquente les estaminets du port vêtu d'un suroît, une pipe au coin des lèvres, un chien libre comme l'air sur ses talons, dort dans une barque installée dans sa salle à manger, fait de la navigation côtière, simule des naufrages. Pourtant la passion de Tristan pour l'état de matelot, ne date pas de son installation à Roscoff. Il s'agit d'une passion véritable, d'autant plus sincère qu'elle est contrariée par sa santé, et qui a pour origine les antécédents de son père dans la marine, exaltée encore par la lecture des romans paternels. 



      Tristan Corbière entreprend son premier voyage en Italie en décembre 1869 pour aller voir l'autoportrait de son ami Jean-Louis Hamon exposé à la Galerie des Offices à Florence. A Capri le 31 décembre ils logent à l'Hôtel Pagano ; sur le registre de l'hôtel, Tristan se présente comme "peintre avant d'être poète"… registre qu'il paraphe d'ailleurs d'une autocaricature. Il est de retour à Roscoff au printemps.



      Au printemps de l'année 1871, le poète breton rencontre sa muse Armida-Josephina Cuchiani (la maîtresse d'un aristocrate), qui deviendra Marcelle de ses Amours jaunes, la passagère de Steam-Boat. Bientôt amoureux et lassé de sa retraite roscovite, Tristan rejoint Marcelle à Montmartre. Il troque alors sa panoplie de vieux loup de mer pour une pose de dandy, se fait tailler la barbe en pointe, va au théâtre. Réduit à faire le pied de grue ou à s'époumoner sous les fenêtres de sa belle, il fréquente bientôt des femmes de mœurs plus légères. Paris est pour lui une période riche en désillusions de toutes sortes. Les Amours jaunes paraissent à compte d'auteur - financés par son père - en août 1873. Publié en 481 exemplaires, le recueil passe presque inaperçu, pourtant trois articles de journaux de l'époque saluent le nouveau-venu. Il faudra attendre l'enthousiasme de Paul Verlaine pour le premier des « poètes maudits » , et la seconde édition des Amours jaunes chez Vanier, en 1891, pour que Tristan Corbière rentre au panthéon des poètes.

Le Mousse
Poème présent dans les Amours jaunes


Mousse : il est donc marin, ton père ?...
— Pêcheur. Perdu depuis longtemps.
En découchant d'avec ma mère,
Il a couché dans les brisants... 

Maman lui garde au cimetière
Une tombe — et rien dedans 
—C'est moi son mari sur la terre,
Pour gagner du pain aux enfants. 

Deux petits. — Alors, sur la plage,
Rien n'est revenu du naufrage ?...
— Son garde-pipe et son sabot . 

La mère pleure, le dimanche,
Pour repos... Moi : j'ai ma revanche
Quand je serai grand — matelot ! — 
          Baie des Trépassés





 
Pour aller plus loin :

Rannou (P.), De Corbière à Tristan - “Les Amours jaunes” : une quête de l'identité, Paris, 2006.
                 , Visages de Tristan Corbière, essai, Morlaix, éd. Skol-Vreizh, 1995.
Steinmetz (J.L.), Tristan Corbière : Une vie à peu près, Paris, 2011.




à E.G, " la native de l'île rouge ".





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