Question ludique du mois : quelques centimètres de carton ...

Sur quel site breton est produit le carton utilisé pour les premiers tickets de métro parisien ?


La cartonnerie.

Indice 1 : le métro parisien en ouvert au public le 19 juillet 1900.

Indice 2 : pour produire du carton, il faut une cartonnerie et puis une minoterie donc de l'eau et enfin un moyen de transport permettant l'importation de produits étrangers divers. Ce site se situe ainsi forcément sur le littoral ou bien sur les bords d'une rivière côtière ...

Indice 3 : la cartonnerie se situerait aujourd'hui dans les Cotes d'Armor.

Indice 4 : le nom de la cartonnerie est celle d'une fratrie, trois frères de Pontrieux réunissant de part leur formation respectives les compétences industrielles, techniques et administratives nécessaires à la création et au développement d'une entreprise.



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Réponse : les Cartonneries HUET-Pontrieux


        Les cartonneries HUET de Pontrieux, aujourd’hui disparues, sont en effet nées de l’association des fils d’Aline Perreux et de Jean-Marie Huet, notaire établi à Quintin : Ernest, Victor et Emmanuel. Ernest, juriste de formation est avocat au tribunal de commerce de Quintin. Victor sorti avec le diplôme d’Ingénieur des Arts et Manufactures de l’école centrale (même promotion 1870 que Gustave Eiffel), se consacre pour sa part à la partie technique. Quant à Emmanuel, il s’occupe de la partie commerciale et des relations publiques.

        A Rennes, l'imprimerie Oberthür, qui détient depuis 1860 l'exclusivité sur l'impression de « l'almanach postal », se développe à grande allure. Les besoins en papier et en carton sont donc grands. Or, avant l'ouverture de la Cartonnerie Huet, le port de Pontrieux est le lieu d'où provient déjà une partie des matières premières utilisées par la papeterie telles que des pâtes à bois provenant des pays nordiques (Norvège, Suède…) et du charbon en provenance de Grande-Bretagne. Le débit de la rivière donne également à Pontrieux cette position privilégiée, là où se rencontrent Trieux fluvial et Trieux maritime.

Almanach des postes et des télégraphes de 1892, Imprimerie Oberthür.


        Dans un premier temps, Ernest, Victor et Emmanuel achètent en 1873, le moulin de Kerglas situé en Saint-Clet à 3 km en amont de Pontrieux, qu'ils transforment en minoterie industrielle. Dans ces ateliers, Victor Huet teste différentes techniques de fabrication de carton. En parallèle et afin de subvenir à leurs besoins en attendant d'ouvrir une usine à Pontrieux, les frères Huet développent différentes activités telles que le commerce du grain ou l'importation de charbon qui est vendu par la suite à des négociants de la région. Vers 1875-1876, le Moulin du Trieux, rue de l'Eperonnerie à Pontrieux, alors un petit teillage de lin et un moulin à grain exploité par Mr Ernest Le Gris fait faillite. Il est lui-aussi rapidement racheté par les frères Huet pour l'établissement de leur cartonnerie dont l'inauguration a lieu le 8 Septembre 1886, en présence de notables de la ville et de la famille au complet. A cette époque, minoterie et cartonnerie emploient en tout près de 60 personnes.

        Les cartonneries Huet sont à la veille de la Première Guerre Mondiale, les plus importantes des Côtes du Nord avec une production qui peut atteindre 5.000 kg pour 24 heures de travail. Comme il est possible de régler l'épaisseur, la qualité et la teinte du carton, on produit à l'usine de Pontrieux du carton varié et destiné à divers usages. Hormis les almanachs postaux imprimés par Oberthür, l'usine de Pontrieux a également fourni le carton utilisé pour la fabrication des premiers tickets du métro parisien. C'est également le carton de Pontrieux qui était utilisé par les papeteries de l’Odet pour les carnets de leur papier à cigarette OCB (Odet-Cascadet-Bolloré). Durant la première guerre mondiale, comme dans d'autres entreprises des Côtes-du-Nord (notamment les papeteries Vallée), les cartonneries travaillent activement pour la défense nationale, bien qu'elles continuent la vente de certains articles à leur clientèle civile. En 1923, Victor, le dernier des frères décède à son tour, la direction est alors assurée par Pierre Huet son neveu. L'activité est alors florissante: l’usine compte une centaine d’ouvriers. Une bonne partie de la rue de l'Eperonnerie vit alors au rythme de l'usine qui fournit de l’électricité aux riverains grâce à un générateur alimenté par une turbine.

La famille Huet en 1907.

        La seconde guerre mondiale touche durement la cartonnerie, les importations de pâte à bois depuis les pays nordiques étant impossibles. L’idée d'en importer par voie de terre ne se concrétise pas si bien que la cartonnerie se retrouve privée d'une partie de ses matières premières ! Au sortir de la guerre, la cartonnerie est affaiblie et doit faire face à la concurrence croissante, notamment de l'industrie des matières plastiques. La cartonnerie n'est plus compétitive sur le marché, elle ne produit pas assez vite, pas assez efficacement. Des travaux de modernisation sont entrepris dès les années 60 mais les capitaux sont insuffisants pour renouveler la totalité des machines. Dans une interview accordée au Ouest-France en 1973, André Huet ne peut que constater que la concurrence s’est faite trop rude pour les petites industries :

" Nous avons des machines, bientôt centenaires, et il était impossible pour notre société d’investir d’énormes capitaux, lorsque l’on sait que, sur 480 industries papetières en France, 17 ont cessé toute activité en 1970, 13 en 1971 et 16 autres en 1972 … Songez que notre vitesse de production est de 4 à 11 mètres/heure, alors que certaines entreprises avoisinent les 1.000 m/h … "

        Ainsi, comme beaucoup de petites entreprises et malgré des tentatives de modernisation du système de production, les cartonneries HUET sont obligées de fermer leurs portes en décembre 1973.



Pour aller plus loin :

ici : la visualisation des derniers bâtiments des cartonneries Huet-Pontrieux aujourd'hui.
ici : les cartonneries Huet-Pontrieux, Pays de Guingamp. Consultation 14/06/2016.


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