1450 : assassinat de Gilles de Bretagne


        Jeanne d'Arc brûlée à Rouen en 1431... En ce mois de mars 1432, les relations sont au plus mal entre les royaumes français et anglais lorsque arrive à Londres un garçon de 8 ans, caracolant sur un destrier luxueusement caparaçonné et suivi de 140 cavaliers. Il sourit aux anges et son gracieux visage éclipse le personnage qui chevauche à son côté. Ce dernier n'est pourtant pas n'importe qui : il s'agit de l'évêque de Nantes, Jean de Malestroit. L'enfant qu'il escorte Gilles est le 3ème fils de son ami Jean V, duc de Bretagne. Que vient faire ici ce bambin en un tel apparat ? Prendre ses fonctions d'ambassadeur rien moins ! Il est accueilli à la cour avec tous les égards dus à son rang. 

Une jeunesse et une éducation à Londres

Portrait du seigneur breton Gilles.
        18 tonneaux de muscadet, provenant des vignobles de la Sèvre nantaise, ont précédé l'arrivée du jeune prince. La mission dévolue au chérubin dépasse de loin son objet. Elle se veut principalement comme le gage de l'amitié du duc de Bretagne pour les hôtes du palais de Westminster, ce qui n'est pas rien non plus en ces temps troublés. Pour la diplomatie, l'évêque de Nantes s'en chargera. L'éducation du jeune prince est confié au comte de Warwick. Sa vaillance dans les tournois n'a d'égale que son élégance vestimentaire. Les hautes sphères du pouvoir le remercie pour son rôle actif lors du procès de Jeanne d'Arc. Gilles de Bretagne n'est pas le seul enfant dans la maison du comte anglais. Bénéficiant de ce même tuteur, rien de moins qu'Henri VI, le jeune roi d'Angleterre, cousin de Gilles de 3 ans son aîné. Petits-fils l'un et l'autre de l'infortuné roi français Charles VI, ils ont en commun la ressemblance physique, mais également le goût des arts. Au-delà, toutefois, des divertissements, une affection très forte les unit. En la personne de l'enfant roi, Gilles a trouvé plus qu'un compagnon, un véritable frère. Malheureusement pour lui, en 1434, le jeune breton est rappelé dans le duché de son père. Il ne repart pas les mains vides, doté de peu de terres à sa naissance, la couronne d'Angleterre lui octroie une substantielle pension. En revanche, ce qu'il ignore dans la candeur de ses 10 ans, c'est que le royal cadeau a une contrepartie : sa fidélité à la cause anglaise. Gilles, seigneur de Champtocé et d'Ingrandes, appréhende son retour sur le sol armoricain et la cohabitation avec ses frères aînés. Il n'est que le dernier enfant de la famille régnante en Bretagne et n'accédera jamais au trône. En outre, il a la nostalgie de l'Angleterre. Inquiet de la morosité de son fils préféré, Jean V le Sage tente d'y remédier en le nommant gouverneur de Saint-Malo.

Une cohabitation difficile avec le nouveau duc, son frère

Couronnement de François le Bien Aimé.
        En août 1442, Jean V meurt au manoir de la Touche (actuel Musée Dobrée de Nantes), ouvrant la succession à son fils aîné François Ier, qui est couronné le 8 décembre 1442 en l'église Saint-Pierre de Rennes. Ne sachant que faire de son frère, en cette fin d'année, François Ier lui confie une mission : obtenir d'Henri VI, roi d'Angleterre, la restitution du comté de Richemont confisqué jadis aux ducs de Bretagne. Gilles accepte avec empressement et son cousin le reçoit à bras ouverts, promettant d'accéder à sa requête. En attendant, Gilles profite de Londres en y menant la belle vie. Au point d'en oublier le pays qu'il représente et son devoir de réserve.

       Le rappel à l'ordre intervient en 1444. Irrité par les démonstrations d'amitié tapageuses du jeune homme à l'égard de la couronne d'Angleterre, le roi français Charles VII use des grands moyens, en confisquant les maigres biens de Gilles de Bretagne. En outre, il écrit au duc de Bretagne pour l'en informer et ce dernier très offensé somme son remuant cadet de rentrer immédiatement.

Gilles épouse Françoise de Dinan, la plus riche héritière de Bretagne...

        De dépit et de mécontentement, le malheureux Gilles se tourne alors vers une demoiselle que sa mère, Catherine de Rohan, soustrait aux convoitises des gentilshommes dans son manoir du comté de Penthièvre. Françoise n'a que 8 ans mais qu'importe, la dot est plus que conséquente. Dans le duché, les femmes peuvent succéder à leur père, frère, oncle... or cette enfant hérite à elle seule de son père Jacques de Dinan et de son oncle Bertrand de Dinan, respectivement Chambellan de Bretagne lié à la famille de Rohan et Maréchal de France. Le jeune prince se met donc en tête de l'épouser. Par ce mariage, il met la main sur la baronnie de Châteaubriant, et de nombreuses places en Bretagne dont le château du Guildo.

        Mais ces noces attisent convoitises et jalousies ; d'autres se seraient bien imaginés accéder à cette puissance économique et politique, notamment un certain Arthur de Montauban. Dès lors, celui-ci ne cesse d’œuvrer à la perte de son rival. Du reste, il trouve un appui actif en la personne de son ami le duc de Bretagne. François Ier est en effet las des marques excessives d'affection de son cadet envers le camp anglais. D'autant plus que la diplomatie bretonne a désormais opté pour le camp français plutôt que la neutralité et le jeu triangulaire entre les deux puissances voisines tant sauvegardés par Jean V. Devenu plus puissant, Gilles réclame de surcroit à son frère une part plus importante de l'héritage. Devant son refus, le jeune imprudent se rapproche du roi d'Angleterre, lui offre ses services et la mise à disposition de toutes les places qu'il tient en Bretagne. Des archers anglais parviennent sur ses terres, déclenchant la colère de François Ier et, plus grave, du roi Charles VII.

François Ier et son armée. Miniature issue du manuscrit de Martial d'Auvergne, Les Vigiles de Charles VII, vers 1484, BNF.

Une mort programmée

        Du château du Guildo dominant l'embouchure de l'Arguenon, où il coule des jours insoucieux avec les filles partageant sa couche, Gilles de Bretagne est donc arrêté le 26 juin 1446 par l'amiral Prigent de Coëtivy, noble breton au service de la Couronne de France. Retenu prisonnier, ses terres ainsi que celles de sa femme sont confisquées au profit du futur duc François II, beau-fils de François Ier. Malgré l'intervention d'Arthur de Richemont (futur duc Arthur III), le procès pour trahison et lèse-majesté, instruit par le procureur général de Bretagne Olivier du Breil, commence à Redon le 31 juillet 1446 devant Jean V les États de Bretagne. Ces derniers refusent de juger Gilles, qui reste cependant en prison sur ordre de François II, et ce, malgré la menace militaire formulée par Henri VI d'Angleterre en vue de sa libération. Gilles est transféré au château de Moncontour en octobre 1448, sous la garde d'Olivier de Méel, un vassal d'Arthur de Montauban ! Maltraité et torturé, il écrit au roi Charles VII de France, qui dépêche son émissaire Prigent de Coëtivy auprès du duc de Bretagne pour demander la libération de Gilles. Coëtivy obtient la remise en liberté de Gilles, quand François Ier reçoit une fausse lettre du roi d'Angleterre - complot d'Arthur de Montauban - le sommant de lui rendre Gilles. La libération du prince est suspendue par le duc, furieux de l'ultimatum reçu.

        Pour plus de sécurité, Gilles de Bretagne est transféré dans un cachot de la Hardouinaie à Saint-Launeuc. Ses geôliers, tous amis d'Arthur de Montauban, tentent alors de le laisser mourir de faim. Après avoir peut-être essayé de l'empoisonner, le prisonnier Gilles de Bretagne, âgé de 30 ans, est étranglé ou étouffé dans sa cellule le 25 avril 1450. Le supérieur de l'abbaye cistercienne de Boquen donne des instructions pour que le corps de Gilles de Bretagne soit inhumé au pied du maître-autel de la chapelle. Sur la tombe est apposée une sculpture de bois à l'effigie du défunt.


Épilogue

        Le 19 juillet de la même année, très affecté par la disparition de Gilles, François Ier meurt à son tour. Son successeur n'est autre que leur frère Pierre de Guingamp, accédant au duché sous le titre de Pierre II de Bretagne. Olivier de Méel et ses complices sont exécutés sur ordre du nouveau duc à Vannes le 8 juin 1451. Du haut de ses 14 ans, Françoise de Dinan est également emprisonnée, mais elle ne le pleure pas longtemps Gilles de Bretagne. Protégée par sa belle-soeur, la duchesse François d'Amboise, épouse de Pierre II, elle épouse Guy XIV, veuf de 45 ans, déjà père de 10 enfants dont 5 étaient plus âgés qu'elle. Elle deviendra la gouvernante d'Anne de Bretagne...

Pour aller plus loin :

Akenhead Knowlson (G.), Jean V, duc de Bretagne et l'Angleterre (1399-1442), Cambridge - Rennes, Librairie de Bretagne Yves Durand-Noël, coll « Archives historiques de Bretagne » (n° 2),
Jouve-Quémarrec (M.), L'ambassadeur de la paix : Gilles de Bretagne, Saumur, 2003.
Kerhervé (J.), L'État breton aux XIVème et XVème siècles : les ducs, l'argent et les hommes, Paris,
Leguay (J.P), Martin (H.), Fastes et malheurs de la Bretagne ducale 1213-1532, Rennes, 1982.



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